« Oxymore », une exposition de Sidonie Bilger

Dans le cadre de sa politique culturelle, soucieuse de favoriser la découverte d’œuvres nouvelles et sensibles, et d’encourager la rencontre entre les artistes et le public, la Ville de Périgueux a réaffirmé son soutien à la création artistique et aux artistes contemporains à travers un appels à projets lancé auprès d’artistes nationaux.

Sélectionnée pour l’approche immersive de son travail, les sujets hautement actuels qu’elle aborde et l’esthétisation de la catastrophe qui sous-tend chacune de ses œuvres, Sidonie Bilger est la troisième artiste à être exposée au Centre culturel La Visitation lors de cette première édition de l’appel à projets.

Vernissage de l’exposition le vendredi 13 septembre à 18 h 30

Sidonie Bilger a étudié le dessin, la peinture et la gravure à l’école Emile Cohl à Lyon et à la Hochschule der Bildenden Künst Saar en Allemagne. Diplômée de l’école Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris (2019), elle vit et travaille essentiellement en résidence d’artistes, en itinérance dans diverses régions de France, souvent rurales.

Sa sensibilité pour le paysage, son engagement écologique et environnemental, sa proximité avec le milieu agricole et alternatif se retrouvent dans son travail. Sidonie Bilger façonne de vastes univers où la nature reprend ses droits par l’envahissement des espaces. Ses dessins se propagent dans un fort engagement corporel, jusqu’à tout recouvrir, avec ce besoin viscéral de sentir dans sa propre chair le mouvement qu’elle représente. L’artiste dessine et peint de manière instinctive et intuitive, entre virtuosité et déflagration expressionniste. Son trait porte une énergie sourde, parfois explosive. Il n’y a pas de croquis préparatoire au travail ; les errances de la composition, les esquisses de recherches restent sous forme de vibrations dans l’image finale. L’œuvre garde ainsi en mémoire sa recherche d’équilibre et le public peut suivre les aléas du processus de création entre improvisations et repentis assumés.

Ses recherches les plus récentes se développent autour du thème de la catastrophe et des monstres de la pensée. Elles interrogent les puissants rapports de domination que l’Homme entretient avec son environnement, mais aussi que l’Homme entretient avec l’Homme. Cette réflexion fait directement référence au thème de « l’écologie décoloniale » basé sur la théorie selon laquelle la crise écologique est aussi une « crise des droits humains, de la justice et de la volonté politique. Une crise créée et alimentée par des systèmes d’oppression coloniaux, racistes et patriarcaux. » (Thunberg et al., 2019).

Oxymore

L’humanité est devenue assez étrangère à elle-même pour réussir à vivre sa propre destruction comme une jouissance esthétique de premier ordre.
Walter Benjamin, Essai, 1922-1934

Par des jeux d’échelle de l’intime aux grands déploiements dans l’espace, l’exposition présente les récents travaux au fusain et au pastel de Sidonie Bilger. Tel l’oxymore, les œuvres exposées portent plusieurs idées que leurs sens devraient éloigner. Dans des formes en apparence très séduisantes, se devine la contradiction. Chacune des images par-delà sa beauté  superficielle ou sa virtuosité cache en réalité la catastrophe. À la fois politique, romantique et sublime, l’artiste dénonce les diverses forces de destruction contemporaine. Là où l’on s’abandonne à la contemplation de grandes épopées, de vastes paysages aux douces nébuleuses et aux dégradés subtils, les couleurs évoquent en réalité par énigme le danger, l’horreur insoupçonnée.

« Le banquet » est une assemblée orgiaque et obscène se délectant de la catastrophe. Monstres et chimères empruntés à Goya, Daumier ou Michel-Ange côtoient des  personnages inspirés de dessins d’enfants, de bande-dessinées et d’images de presse. Le décor dépeint les dérives de notre rapport aux paysages. Un ciel chatoyant surplombe un paysage rendu morne et aride par la  monoculture intensive, tandis que des bombes pleuvent çà et là. À droite, une jungle artificielle côtoie un champ de maïs transgénique. Cette œuvre, par sa taille et ses détails, touche au grotesque. Quelque part entre le risible et l’effroi, elle dénonce les excès de la société contemporaine.

Plus loin, proche de l’abstraction, s’exposent trois petits formats aux motifs que l’on peine à reconnaître. D’apparence purement décorative, ils sont des représentations fidèles et à l’échelle, d’un sujet parfaitement commun et en même temps complètement inconnu du grand public. Ce sont des semences en agriculture conventionnelle. Le blé, l’orge et le soja portent leurs couleurs habituelles puisqu’elles sont systématiquement traitées et enrobées pour le semis. Ces différents produits de traitement sont dotés de jolis noms, comme « CELEST®POWER »ou « VIBRANCE®GOLD », et de couleurs pétillantes et attractives. Sous le masque, se révèle la réalité toxique de ces substances en termes de santé, de pollution et d’impact sur la biodiversité.

Le nom des œuvres, puis notre regard qui s’aiguise, nous interpellent sur l’étrange et séduisante beauté de ces œuvres. Ces ciels étoilés sont inspirés d’arrêts sur image de l’explosion d’une bombe au phosphore blanc, une arme incendiaire des plus violentes utilisée dans les guerres d’aujourd’hui. Dans sa grande marine, le premier plan au fusain en noir et blanc contraste avec le ciel coloré marquant comme deux mondes opposés. La réalité est moins manichéenne pour l’artiste, la mer déchaînée est le chemin de l’exil sous un ciel illuminé par les déflagrations de la guerre.

Le travail de Sidonie Bilger questionne notre conception du beau ainsi que le pouvoir des images et de l’imaginaire. Elle façonne un univers intranquille entre l’utopie et la dystopie, convoquant à la fois notre imaginaire collectif et notre avenir commun dans une représentation puissante et immersive. À quel point peut-on se perdre dans la contemplation de la catastrophe ?  Cette réflexion sur le déclin, la beauté, la rareté est, au-delà d’une vision pessimiste et irréversible du destin de l’humanité, une proposition d’engagement sur l’après où la rencontre et le vivre-ensemble deviennent des mots d’ordre indispensables à nos survies individuelles et collectives.