« Tierra magica », exposition de Yannick Cormier

Dans le cadre de sa politique culturelle, soucieuse de favoriser la découverte d’œuvres nouvelles et sensibles, et d’encourager la rencontre entre les artistes et le public, la Ville de Périgueux a réaffirmé son soutien à la création artistique et aux artistes contemporains à travers deux appels à projets lancé à destination d’artistes du territoire et d’artistes nationaux.

Sélectionné à la fois pour la puissance et la sensibilité qui émanent de ses photographies mais aussi pour l’approche anthropologique et sociale de son travail autour des rites, de l’identité et du lien avec la nature qu’entretiennent les communautés qu’il immortalise, Yannick Cormier est le second artiste à être exposé au Centre culturel La Visitation dans le contexte de ces appels à projets.


Yannick Cormier

Yannick Cormier est né en France en 1975. Il vit et travaille en France. En 1999, il fait son apprentissage au studio Astre à Paris. Pendant cette période il assiste les photographes Patrick Swirc, William Klein et bien d’autres pour des magazines comme Vogue et Vanity Fair. Ensuite il entame une carrière de photographe documentaire sur les thèmes de l’exclusion sociale et de l’identité culturelle. Ses images sont publiées dans la presse internationale (Courrier international, Libération, The Guardian, CNN, Foreign Policy). Au printemps 2018, il s’installe en France, en Dordogne, après avoir passé 15 ans en Inde. En 2021, il publie les livres « Tierra Magica » aux éditions Light Motiv et « Dravidian Catharsis » aux éditions Le Mulet.

Le photographe donne à voir cette forme de résistance de l’identité culturelle des sociétés dites traditionnelles ou de plus petites communautés qui n’ont pas encore été totalement anesthésiées par le monde moderne consumériste. C’est une tentative de révéler des attitudes mythologiques de ces groupes. Mais plus que des mythes, ses images montrent des gens qui jouent avec des symboles, signe d’une culture qui, parce qu’à l’aise avec ses traditions, peut se laisser aller à l’autodérision.

Sa photographie convoque le spirituel et le matériel, la fiction et la réalité, la tradition et la modernité. Ses photographies sont des images vivantes qu’il puise dans le voyage, les rites sociaux, les cérémo­nies religieuses, les fantasmes culturels, les rêves et plus généralement dans tous les jeux, sacrés ou ordinaires, qui travestissent l’identité et l’apparence.


Tierra Magica

L’exposition « Tierra Magica » est une plongée dans les rituels et les mascarades du Nord-Ouest de l’Espagne et du Portugal. Le photographe Yannick Cormier invite les  spectateurs aux frontières du visible et de l’invisible à travers des traditions venues de temps anciens, rappelant le lien indéfectible de l’homme à la nature : « Ainsi surgit l’homme sauvage au sein du paganisme moderne comme pour symboliser la renaissance de la nature émergeant de l’hiver. » Mais ce parcours parmi les liesses carnavalesques témoigne aussi de formes de résistance : transgression de l’ordre social établi, contestation politique pendant la période franquiste, et aujourd’hui, opposition à l’uniformisation imposée par nos modes de vie contemporains.

C’est comme dans un cauchemar fiévreux. Comme dans un rêve étrange. Dans la brume au petit matin, il semble que les arbres prennent forme humaine, que des  buissons surgissent sur deux jambes et fendent l’air dans une marche déterminée, que les tissus humains deviennent écorce, ou bien l’inverse. Ailleurs, des êtres cornus, recouverts de peaux animales, de plumes, parfois de sang, masqués de figures grimaçantes, forment une cohorte à laquelle on se mêle avec crainte, avec fascination, ou encore avec enthousiasme. Parfois ces créatures surgies d’un passé lointain tyrannisent les passants, simulent l’enlèvement de jeunes femmes, ou feignent de s’affronter entre elles. Parfois elles se laissent pourchasser, sont malmenées par la foule puis jugées par un tribunal dont le verdict tombe sans surprise : à la tombée du jour, elles disparaitront dans un feu de joie.

Le photographe Yannick Cormier s’immerge dans les rites carnavalesques du Nord-Ouest de l’Espagne et du Portugal d’une manière qui lui est tout à fait propre : pas de protocole établi, d’idées préconçues, de prétention esthétisante ou de volonté d’inventaire. D’autres l’ont fait bien avant lui en photographie. Les anthropologues du XIXe siècle fixent avec systématisme la face et le profil, inventoriant les masques, parures et costumes, et réduisent ainsi au folklore les rites ancestraux. Bien plus récemment, des répertoires photographiques aussi méticuleux que spectaculaires, dressés avec méthode et rigueur technique, font ressurgir ces figures dans le présent de manière presque anachronique.

Mais les images dont il est question ici sont faites pour aller au-delà, à la frontière du visible et de l’invisible, des peurs et des espérances, des croyances païennes et religieuses. Des photographies indociles, mouvementées et transgressives, empreintes de la pulsation de la foule, révélatrice des forces vitales à l’origine du carnaval. Avec elles, Yannick Cormier entraîne le spectateur dans le tumulte de l’étrangeté de ces fêtes, qui ont toutes pour point commun de jalonner le temps, de transgresser l’ordre  établi, et de rappeler à la société son lien intangible avec la nature. Les saisons se succèdent, la vie renaît perpétuellement. La mort, aussi tragique qu’elle soit, en est une des composantes. Le photographe entremêle ces défilés de personnages, telles des visions fantastiques, à des paysages archétypaux. Des forêts qui pourraient en être les matrices, les ventres, mais aussi les lieux où ces créatures inquiétantes se fondraient pour disparaître.

Interdites par le régime franquiste en 1937, car propices aux désordres et à la rébellion, ces festivités ne furent jamais officiellement réhabilitées depuis. Elles prennent alors un caractère de résistance politique et culturelle. Restées vivaces, elles deviennent aujourd’hui, par le hasard des événements, synonymes d’une nouvelle insoumission. Celle d’individus mués par le désir de ne faire qu’un seul corps, de fêter, de s’ébattre dans la foule au plus près les uns  des autres, dans un lâcher prise salvateur.

Anne-Céline Borey (musée Nicéphore Niépce)